I. L'Enfant
déjà Les
amants dehors, la pluie les ignore,
dehors où l’ombre pourrit, où s’amassent
sur les tombes les étoiles usées d’un
mauvais jour,
les pétales d’un feu, couronne déchirée.
Un peu, à la folie, pas du tout : l’enfant
déjà
comptait l’avenir sur ses doigts.
Là, les assassins sont sans regard, ils avancent
comme le couteau dans la plaie comme
la flèche d’un nuage dans le bleu du ciel.
Ah, pitié pour la douleur et pitié pour
les corps
qu’on versa au fossé
avec la pluie.
Les amants,
dans leur chambre
amassent les plumes du soleil
et luttent avec le jour.
Dehors, l’enfant :
t’en souviens-tu, dit-il,
t’en souviens-tu, ma mort,
nous étions de ce monde…
[Poème extrait
de <Le Bois de hêtres>
(p. 33) © Cheyne Éditeur, 1998] II. D'une source épousée
Quand tu viens à moi
en ces heures les plus ordinaires
en ces lieux du simple, du froid et de l’oubli
où les foules fuient d’un pas lisse
entre les murs
tu marches belle
belle durée de l’autre côté du temps
au bord dirait-on d’une source
é
pousée et intacte
et l’obscur qui nous prend
aux épaules
— telle une énigme d’une nuit ancienne
et douce —
il est comme ce vent qui revient sur lui même
pour nous surprendre
à
ce manque obscur alors
nous appartenons
l’amour dans la rue nous efface
et notre baiser
dans le plein temps du monde
est une lenteur infinie
[Poème extrait de <Fresque
peinte sur un mur obscur> (p. 50) © Cheyne Éditeur,
2002] III. L'Œil du rêve
Sous une nuit très brusque
j’avançais pas à pas
la corne du vent cherchait sa mort
aux façades
mais ce n’était rien
j’avais le cœur d’un amant
celui qu’un ange prend aux hanches
et fait voler dans les ciels de Chagall Faut-il dire le vrai
?
j’étais insoucieux des cadavres du soir
l’œil chaudement fermé sur son rêve
j’inventais
un pays suspendu
dont la langue et la promesse
seraient le corps de la femme que j’aime
mes mains joyeuses
creusaient un puits
dans l’air extrême
le monde par ailleurs
continuait sur sa peau sèche
et tant pis
j’en ignorais la mort
[Poème extrait de <Fresque
peinte sur un mur obscur> (p. 57) © Cheyne Éditeur,
2002] IV. Aube d'innocence Jeunesse,
tu as la faveur des chambres
et l’obéissance des chemins.
Tes chemises sont répandues, tes gestes
n’ont pas de suffisance.
Nulle de nos armes dérange ta beauté :
le buisson du sang n’écœure pas l’émeute.
Les vents te sont fidèles
et l’aube lève sur toi
un geste sans visage.
Je sais les rues que tu creuses dans l’hiver
et ton cri pareil à la tourmente des oiseaux.
Je sais ta haine de nomade,
comme tu fais un crime des voluptés du soleil,
ton innocence de rameau
et sa trace verte dans le renversement des cités.
On meurt coupable dans ton ruissellement de vignes,
vague boulée contre le mur.
[Poème extrait de
<Le Bois de hêtres>
(p. 65)
© Cheyne éditeur, 1998]
V. Tu as marché contre le vent
Tu as marché contre le vent,
tu l’as entendu gémir dans son enfance
et hurler sa question.
Tu as changé de corps en changeant d’ombre.
Une fois au moins tu as ouvert ta fenêtre après
la nuit.
Tu ne peux plus douter de ta jeunesse.
Le ciel descend vers toi
comme la douceur du saule cherche la rive.
Il te suffira
désormais d‘apprendre à dire
bonjour
aux lèvres de la morte
et de chercher dans sa mémoire
le corps léger,
le peu de vie
que la vague peut-être a posé sur le sable.
Et
tu chercheras dans son regard fermé
un songe au goût de flûte traversière.
Le sens qu’énonce la tragédie des
vagues.
[Poème extrait de <Le Bois de
hêtres> (p. 70)
© Cheyne éditeur, 1998]
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