SIRANDANES CRÉOLES (2001-2002)

 

Cinq mélodies pour mezzo-soprano
& saxophone ténor
Sur des poèmes traditionnels créoles

 

à Sylvie Sullé et Claude Delangle

 

Durée : 12 minutes
Editions Durand, Paris

  1. 1. Lizié (3'20)
    (Les Yeux)
  2. 2. Ti nwar (2'30)
    (Le Petit noir)
  3. 3. Laduler (1'30)
    (La Douleur)
  4. 4. Katpat (1'40)
    (Quatre pattes)
  5. 5. Zétwal (3')
    (Les Étoiles)

À l’Île Maurice, les sirandanes sont des devinettes qui illustrent les joyaux de la vie quotidienne grâce à un sens de l’humour et de l’imaginaire révélant un art de la poésie tout à fait surprenant. Elles sont un regard sur les êtres, les animaux, les choses ou la force des éléments. Sortes d’énigmes ou de messages étranges où se mélangent croyances, mythologies ancestrales et vécu du moment présent.

 

J’ai choisi cinq textes en créole et en français. La parenté entre les deux langues est évidente et il m’a semblé intéressant de les juxtaposer dans chacune des cinq mélodies.

 

Lizié pose la devinette suivante : « j’ai deux jolis bassins… quand ils débordent, vous voyez couler l’eau de chaque côté, mais le canal qui donne cette eau, vous ne pouvez le voir ? ». Réponse : « Les yeux ».
Le chant dénote une tristesse cachée, tandis que le saxophone rappelle l’aspect fluide d’une eau en mouvement.

 

Dans Tinwar, « un petit noir vient de voler une mangue ». Nous apprenons que « ses yeux ont vu » le fruit, mais que « ses yeux n’ont pas pris » ; que « sa main a pris », mais que « sa main n’a pas mangé ». En définitive, « ses reins ont été battus », mais « sa bouche n’a pas crié ».
L’humour et la malice sont ici une arme contre le malheur provenant des difficultés de la vie.

 

Laduler invoque trois états de l’être lorsqu’il est confronté à lui-même : la douleur, qui l’étouffe, le miroir dans lequel il se regarde et l’ombre qui le suit « comme son ombre ».
Cette partie est plus profonde, plus intérieure, plus intensément dramatique.

 

Katpat fait référence à l’animal qui tient une grande place dans l’univers créole. Il s’agit ici du chat et de la souris : « Quatre pattes sur quatre attendent quatre pattes ».
Le texte, ici, est plus enfantin et la musique est traitée comme une comptine de jeunesse.

 

Zétwal concerne les étoiles, qu’elles soient visibles le soir ou invisibles pendant la journée, qu’elles soient punaises sur le tapis du grand-père ou encore une bande d’enfants sortant quand le soleil se cache.
La volubilité du saxophone entraîne le chant dans une course agitée. Comme si l’on voulait parcourir du regard un ciel de millions d’étoiles, comme si les punaises envahissaient le tapis du grand-père, comme si des enfants s’envolaient en grappes humaines vers le firmament.

 

Cette œuvre à été écrite à la demande du saxophoniste Claude Delangle et de la mezzo-soprano Sylvie Sullé. Les cinq mélodies s’enchaînent sans interruption.

[ Yves Prin ]

 

»» Il existe également une version
pour soprano & saxophone alto (2004)

  • Création mondiale : version non créée actuellement
  • la version pour soprano & saxophone alto a été créée
    le 05.07.2007 à Strasbourg, Eglise St-Pierre Le Jeune
    par Françoise Kubler et Armand Angster

I. Lizié

Mo éna dé zuli basin
saken éna en lilo dan milyé,
lerb dan bor.
Kan zot bordé,
wu truv so dilo kulé sakenn so koté,
me kanal ki donn sadilo wu napa kapav truvé ?
Lizié.
J’ai deux jolis bassins,
chacun a un ilôt au milieu
et de l’herbe au bord.
Quand ils débordent
vous voyez couler l’eau de chaque côté,
mais le canal qui donne cette eau, vous ne pouvez le voir ?
Les yeux.

II. Ti nwar 

Sa ki ti getli, napa ki ti pranli,
sa ki ti pranli napa ki ti manzli,
sa ki ti manzli napa li ki ti gagn batés,
sa ki ti gagn baté napa li ti kriyé,
sa ki ti kriyé napa li ki ti ploré ?
Un petit noir vient de voler une mangue :
ses yeux ont vu, mais ses yeux n’ont pas pris ;
sa main a pris, mais sa main n’a pas mangé ;
sa bouche a mangé, mais sa bouche n’a pas été battue ;
ses reins ont été battus, mais ses reins n’ont pas crié ;
sa bouche a crié, mais sa bouche n’a pas pleuré.

III. Laduler  

Mo tuf li, li tuf mwar
Laduler
La douleur,
je l’étouffe, ele m’étouffe ?
Mo get li, li get mwa ?
Laglas
Le miroir ?
Je le regarde,
il me regarde ?
Mo marsé, li marsé,
Mo arété, li arété ?
Mo lombraz.

IV. Katpat  

Katpat lao kat pat
asper kat pat
Kat pat napa vini,
Kat pat alé, kat pat resté ?
Sat lao sez asper léra.
Léra napa vini,
sat alé, sez resté.
Quatre pattes sur quatre pattes
attendent quatre pattes.
Quatre pattes ne viennent pas,
quatre pattes s’en vont, quatre pattes restent ?
Un chat sur une chaise (hi hi) attend une souris.
La souris ne vient pas,
le chat s’en va, la chaise reste.

V. Zétwal  

Aswar, mo truv en bann lagrin dan mo laplen.
Ler mo lévé mo napli truv zot ?
Zétwal.
Le soir, je vois beaucoup de graines dans ma plaine.
Quand je me réveille, je ne les vois plus ?
Les étoiles.
Tapi mo gran papa plin pinez ?
Zétwal.
Le tapis de mon grand-père est plein de punaises ?
Les étoiles.
Mo éna en bann zanfan :
soley levé zot kasé,
soley kusé zot surti ?
Zétwal.
J’ai une bande d’enfants,
quand le soleil sort ils se cachent,
quand le soleil se cache ils sortent ?
Les étoiles.